La SAFER met le vendeur d’une propriété franco-belge en situation délicate

Nicolas Duchange
24 avril 2024
Les SAFER (sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) ont été créées par la loi d’orientation agricole du 5 août 1960. Leurs objectifs initiaux consistaient à réorganiser les exploitations agricoles, en vue d’une agriculture plus productive, et à installer des jeunes agriculteurs.

Depuis leurs missions ont été étendues à la protection de l’environnement, des paysages, des ressources naturelles telles que l’eau ainsi qu’à l’accompagnement des collectivités territoriales dans leurs projets fonciers.

Elles sont titulaires d’un droit de préemption, organisé par les articles L 143-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime.

Ce droit de préemption est particulièrement délicat à mettre en œuvre lorsque la propriété vendue est composite. En effet, l’intérêt du vendeur et de l’acquéreur pour un ensemble complexe, bâti et non bâti, peut être différent de celui de la SAFER, d’abord intéressée par les terres agricoles. 

Laisser une SAFER n’acquérir que la fraction l’intéressant embarrasserait les parties en les laissant face à des fractions de propriété de moindre intérêt pour eux. Mais supprimer tout droit de préemption pour les propriétés hétérogènes offrirait aux parties un moyen très simple de contourner le droit de préemption de la SAFER.

Pour ménager un équilibre entre les intérêts des propriétaires et des SAFER, une procédure détaillée a été prévue à l’article L 143-1-1 du Code rural et de la pêche maritime.

La SAFER est autorisée à n'exercer son droit de préemption que sur une partie des biens aliénés notamment lorsque l'aliénation porte simultanément sur des terrains à usage ou vocation agricole et sur des biens pour lesquels elle ne bénéficie pas d'un droit de préemption.

Mais lorsque la SAFER entend ne préempter qu'une partie des biens mis en vente, le propriétaire :

  • peut exiger qu'elle se porte acquéreur de l'ensemble des biens aliénés ;
  • ou accepter la préemption partielle, mais exiger d’être indemnisé de la perte de valeur des biens non acquis. A défaut d'accord amiable sur le montant de l'indemnisation, celui-ci est fixé par le tribunal judiciaire.

 

Cet équilibre se trouve cependant rompu lorsque la propriété vendue se situe à cheval sur la frontière séparant la France de la Belgique : pour la règlementation française, la notion d’unité foncière ne se conçoit qu’en France, une SAFER n’ayant statutairement aucune vocation à acquérir des biens à l’étranger, pas même en Belgique frontalière.

Cette situation est d’autant plus embarrassante que le premier alinéa de l’article L 143-5 du CRPM dispose que :

 « Sauf s'il s'agit d'un apport en société ou d'un échange non réalisé en application de l'article L. 124-1, toute condition d'aliénation sous réserve de non-préemption d'une société d'aménagement foncier et d'établissement rural est réputée non écrite. »

Autrement dit si le compromis de vente pourra contenir une clause permettant de libérer l’acquéreur pressenti de tout engagement en cas de préemption ou de tentative de préemption, totale ou partielle, il laissera le vendeur dépourvu face à la SAFER, la procédure de préemption ne pouvant être arrêtée une fois engagée.

Une tentation pourrait alors consister à majorer le prix de la partie française de manière à ce que la SAFER locale ne puisse préempter qu’à un prix inférieur au prix annoncé, cette préemption à un prix inférieur permettant au vendeur de renoncer à la vente et donc de conserver l’intégralité de sa propriété.

Une telle pratique est cependant incertaine : une SAFER étant un organisme visant à la régulation des prix des terres agricoles, un prix « hors marché » pourrait au contraire l’inciter à se saisir du dossier.

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